Il est né le 30 juillet
1925 à Ebersheim, dans le Bas-Rhin. Elevé dans une famille nombreuse de 14
enfants, il a grandi dans son village en pratiquant le football et le basket-ball
au cercle Saint Martin. Après l'Armistice de 1940, l'Alsace est annexée par
l'Allemagne. HEINRICH est incorporé de force dans l'armée allemande en 1942;
il est transféré dans les Balkans et à Berlin. Suite à une blessure à un
genou lors d'un bombardement, HEINRICH passe un an à l'hôpital puis est envoyé
sur le front de Russie. Après avoir déserté en 1944, il est fait prisonnier
par les Russes le 13 janvier 1945 et rejoint comme tant d'autres Alsaciens le
camp de Tambov. Il retrouve son village d'Ebersheim le 20 juin de la même année,
dans un état physique lamentable.
HEINRICH est venu au sport
et à l'athlétisme par hasard. En octobre 1945, il est étudiant à la faculté
de droit à Strasbourg. Envoyé par son père pour retirer des bons d'essence
dans le bâtiment de PESCA. , il se trompe d'étage et se retrouve dans un
bureau de la Direction régionale de la jeunesse et des Sports. Impressionné
par sa taille, 1,93m et sa carrure, 95 kilos, on le presse de se diriger vers
une carrière dans l'enseignement du sport et la pratique de l'athlétisme.
Il abandonne le droit et
devient moniteur d'EPS au CREPS de Strasbourg à partir du 1er avril 1946. Il
fait ses premiers pas d'athlète le mois suivant, à Benfeld, lors d'une épreuve
de détection intitulée : "Appel à l'athlétisme". Licencié au RC
Strasbourg, il obtient son premier titre de champion d'Alsace au saut en hauteur
ainsi que quatre sélections en Equipe d'Alsace.
Conseillé par Auguste
KIENNE, il enlève son premier titre de champion de France au décathlon en
1947, malgré des débuts bien modestes à la perche (3m) et au javelot
(34,81m).
En 1948, sous la houlette
de Roger DEBAYE, il est champion de France du décathlon, tout en battant le
record national. La grande surprise intervient au mois d'août aux J.O. de
Londres; dans le crachin et la boue, il se classe 2ème du décathlon, à 165
points de l'Américain MATHIAS.
1949 : en janvier février
1949, il participe à une tournée de propagande en Indochine. Brillants
championnats de France en juillet où Ignace monte quatre fois sur le podium. Il
se classe en effet 1er au saut en longueur avec 7,28m, 2ème au disque, 3ème au
110m haies, 3ème au saut en hauteur, 4ème au poids. Quel palmarès ! Un mois
plus, il est champion de France du décathlon avec un nouveau record de France.
Il se marie au Mont Ste Odile le 26 décembre.
1950 : HEINRICH est victime
d'un accident de moto le 20 juin, en quittant le CREPS. Il se rétablit à temps
pour le décathlon des championnats d'Europe de Bruxelles. Distancé de 345
points par l'Islandais CLAUSEN à l'issue de la 6ème épreuve, il fait une
remontée fantastique, battant notamment de 30 cm son record personnel au saut
à la perche. La dernière épreuve, le 1500m, se termine dans la dernière
droite, par l'émouvante poignée de main entre les deux hommes. HEINRICH,
vainqueur mais épuisé, quitte le stade sur une civière. Le record de France
est battu. Il s'agit de la 2ème meilleure performance mondiale de l'année.
1951 : Comme à Bruxelles,
le match revanche organisé à Reykjavik, en Islande, avec une température de 8
degrés, tourne à l'avantage d'HEINRICH avec un nouveau record de France, malgré
une chute dans le 11Om haies.
1952 : A nouveau, de
splendides championnats de France avec deux titres au 110m haies et au saut à
la perche. Puis c'est la grande déception d'Helsinki, où HEINRICH avait
largement la possibilité de s'adjuger la 2ème place, comme à Londres. Un déplacement
de vertèbres au 2ème essai en longueur et une entorse au saut en hauteur,
contraignent HEINRICH à l'abandon après le 110m haies. Il ne peut terminer son
dernier décathlon.
En septembre 1953, HEINRICH
quitte l'Alsace pour le Maroc. Jusqu'en 1958, l'on retrouve le nom d'Ignace
HEINRICH dans les palmarès français, surtout dans les lancers.
Laissez-moi en quelques
chiffres vous résumer le palmarès d'Ignace HEINRICH :
Titres de champion
d'Alsace : 19
5 au 110 m H, 6 au saut en
hauteur, 2 au saut en longueur, 1 au poids, 1 à la perche, 3 au disque, 1 au
javelot.
Sélections en équipe
d'Alsace : 15 avec 49 épreuves
individuelles disputées, dont 32 victoires.
Records d'Alsace :
23
Titres de champion de
France : 7 , 4 au décathlon, 1 au
saut en longueur, 1 au 110 m haies,1 au saut à la perche.
Sélections en équipe
de France 26 de 1948 à 1954 (14 victoires).
16 au 11Om haies (8
victoires), 2 au saut en hauteur, 11 au saut en longueur, 5 au disque, 9 au
javelot, 3 au décathlon
1 au 4 X 100m, 1 au 4 X
400m.
Vice champion olympique
du décathlon et champion d'Europe.
Pour terminer, laissez-moi
vous rappeler ses records personnels :
10"9
50"1 4'38"4
14"6 1,95m 7,28m 4m
"Quelle carrière extraordinaire de champion, qui ressemble à un beau film d'aventures où le héros, placé dans des situations critiques, parvient toujours à triompher ! " L'Équipe".
JEUX OLYMPIQUES à Helsinki les 24/25 juillet 1952
Décathlon : Le calvaire
d'Ignace HEINRICH, contraint à l'abandon après la sixième épreuve.
Ignace HEINRICH, si brillant
fin juin aux Championnats de France, était parti confiant pour Helsinki. Que
s'est il donc passé dans la capitale finlandaise ? L'on a dit, après coup, que
HEINRICH était surentraîné.
Dans un article intitulé:
« On a dit des bêtises sur Ignace HEINRICH », publié dans « But et Club »,
Roger DEBAYE, entraîneur national de la FFA, donne sa vérité. Au fil des épreuves,
vous pourrez en lire quelques extraits.
1ère journée :
Au 100m l'Américain CAMPBELL court en 11"7, son compatriote MATHIAS,
champion olympique, en 11"9. Dans la dernière série, HEINRICH, mal parti,
finit très fort, sans aucune opposition et réalise 11"5. Il est très déçu
par la performance, sa plus faible en sprint.
Roger DEBAYE: « Dans le
100m, il y eut neuf séries, espacées régulièrement de sept minutes. Bob
Mathias était placé dans les premières et HEINRICH dans la toute dernière,
soit environ une heure plus tard... A partir de le 5ème série, le vent changea
de sens et le ciel fut occupé par la grosse cavalerie des nuages. Les quatre
dernières séries furent courues avec un vent en plein de face. Qui s'en rendit
compte des tribunes ? Personne ... Lorsque HElNRICH prit connaissance de son
temps, il chancela littéralement ».
Saut en longueur: MATHIAS,
franchit 6,95m au 1er essai, HEINRICH 6,82m au 2ème essai, MATHIAS est à
6,98m. HEINRICH met le paquet. Il est largement au-dessus de 7,10m, mais mord de
peu. Au 3ème essai, HEINRICH réussit 7,10m..
Roger DEBAYE: « C'est dans
sa hâte de rejoindre Mathias que HE1NRICH se blessa. Ce fut au second essai que
l'accident se produisit. Il mit tant d'ardeur à faire son extension qu'il déplaça
une vertèbre, pinçant le nerf sciatique... Après son troisième essai à la
longueur, Ignace était littéralement vert de douleur. De grosses gouttes de
sueur coulaient sur son visage... C'est alors que son calvaire commença :
injection de novocaïne, étirements, rien n'y fit. Il était absolument
incapable de s'échauffer pour lancer le poids... »
Au lancement du poids, 1er
essai mordu par HEINRICH. Au 2ème essai, MATHIAS lance à 15,30m, HEINRICH à
12,62m. Au 3ème essai, HEINRICH atteint 12,83m.
Roger DEBAYE : « A force
d'injections, la douleur devint tolérable. Par contre coup, HENRICH avait perdu
le contrôle total de ses jambes ... Il leur demanda de l'aider à lancer le
poids. C'était trop, et les trois fois ses pieds restèrent obstinément au
sol, alors que, en temps normal, il bondit littéralement dans le cercle. Résultat
: 12,83m, soit un mètre de moins qu'à son tableau pessimiste. »
Classement après 3 épreuves:
1. MATHIAS 2639 pts 2.
CAMPBELL 2500 pts
3. HEINRICH 2211 pts
Saut en hauteur: HEINRICH
assure 1,70m. Il frôle la catastrophe à 1,80m, qu'il ne franchit qu'au 3e`
essai. Il passe coup sur coup 1,85m et 1,88m au 1er essai, s'abstient à 1,90
avant d'échouer deux fois à 1,92m.
Roger DEBAYE: « Après un 1er
essai nettement raté à 1,92m, il s'élança pour le second. Hélas, au moment
de l'appel, il eut si mal dans le dos qu'il s'éleva mal et se désunit pendant
son saut, de sorte que lorsqu'il atterrit, il n'était pas « prêt » à la
chute. Pour comble de malheur, il retomba en plein dans le trou fait dans la
sciure par le concurrent précédent. Ce fut l'entorse, En boitant, il alla dire
aux juges qu'il renonçait à son troisième essai ».
400m: MATHIAS termine sa série
très éprouvé en 50"2. HEINRICH, dans la même série que SIMMONS, le
devance d'un dixième: 51"0 contre 51"1.
Roger DEBAYE : « Boitant et
souffrant du dos, il courut son 400m en 51"0, ce qui est absolument
prodigieux. Ignace valait ce jourlà 49"5. Ses 51" dans de telles
conditions le prouvent. Par conséquent qu'on ne vienne pas nous parler de
surentraînement ».
Classement après la première
journée :
1. MATHIAS 4367 pts
2. CAMPBELL 4111 pts
3. SIMMONS 3924 pts
4. HEINRICH 3855 pts
« Le retour au village fut plutôt pénible.
Après avoir dîné très légèrement, HEINRICH devint la proie du docteur
MATHIEU et de ses collaborateurs. Jusqu'à plus d'une heure du matin, il ne
cessa de diriger les soins. Lorsque le "grand" fut enfin couché, le
docteur MATHIEU me dit: Sa cheville est moche ; il va falloir lui donner
de la novocaïne à dose massive pour qu'il puisse continuer... ».
« Le lendemain, lorsque j'entrai doucement
dans sa chambre pour ne pas l'éveiller brusquement, il m'avoua qu'il n'avait
pas fermé l'oeil de la nuit, tant son pied l'avait fait souffrir ». Deuxième
journée : 110m haies: HEINRICH, champion de France 1952 de la spécialité en
14"7, est crédité de 16"0. Roger DEBAYE : « Ce qu'il endura pour
tenter de s'échauffer pour courir le 110m haies est indescriptible. Tout autre
que lui aurait crié. A tout instant, il semblait qu'il allait s'évanouir, tant
son visage devenait livide. C'est ainsi qu'il réalisa 16" juste, ce qui
constitue la preuve la plus évidente de son immense courage. En rentrant aux
vestiaires, il ne pouvait même plus poser son pied par terre tant il
souffrait.... Sur le coup de 11 heures, Ignace HEINRICH déclarait
officiellement abandonner le décathlon. Ainsi, la pièce était jouée. Depuis
1948, tous ses efforts, tous ses gestes, tout son comportement s'étaient
focalisés sur le décathlon olympique 1952 ... Mais de grâce, que tous ceux
qui critiquent sa préparation se taisent... ».
Classement final du décathlon (21
classés, 7 abandons)
1. MATHIAS USA 7887 pts record du monde
2. CAMPBELL USA 6975 pts
3. SIMMONS USA 6788 lits
Abandon: HEINRICH 4448 pts
Les progrès d'Ignace HEINRICH
Epreuves 100m
400m 1500m
110mH Hauteur
Longueur Perche Poids
Disque Javelot
1947 11’’5
51’’8
4’38’’4 15’’8
1,83m 6,71m
3,00m 13,45m
39,60m 34,81m
1948 11’’2
51’’6
4’37’’0 15’’1
1,86m 6,97m
3,40m 14,07m
46,38m 44,36m
La souscription Heinrich
Fin août,
"Sport ???" publie le communiqué suivant : "La L.A.A. porte à
la connaissance des sportifs alsaciens que la souscription ouverte pour Ignace
Heinrich, 2ème du décathlon aux Jeux de Londres, est ouverte jusqu'au
15septembre. Tous les sportifs se doivent de donner leur obole pour témoigner
leur admiration et leur reconnaissance pour notre grand champion.
5/6 août à Londres : Ignace HEINRICH,
vice‑champion olympique du décathlon
"Journal de bord" d'Ignace
HEINRICH, paru dans "But et Club le Miroir des Sports" le 10 mai 1954
(Extraits)
5 août 1948 J'ai mal dormi. Il est 6 heures
du matin, et je suis déjà debout. Depuis 4 heures, j'entends la pluie frapper
les stores de bois de ma fenêtre et, toutes les dix minutes, je soulève mon
rideau pour voir si le ciel se dégageait.. En fait de se dégager, il est de
plus en plus noir ... Moi qui aime le soleil et la chaleur, je suis servi ! ...
En arrivant au stade, j'ai la joie
d'apprendre que je suis dans la première série du 100m et que je vais courir
avec l'Américain MONDSCHEIN. Grâce à la lutte que mous livrons, je fais 11
"3, ce qui me satisfait.
Au saut en longueur, je saute également
parmi les premiers. D'entrée, je fais largement plus de 7 mètres, mais j'ai
mordu. Je n'en reviens pas d'avoir sauté aussi loin , par la suite, j'assure
mon 2ème essai avec 6,49m pour réussir, en fin de compte 6,89m au 3ème, mon
record *officiel. Mon moral est au beau fixe, mais mon survêtement est déjà
à tordre. La couverture que j'avais emportée n'est plus, elle aussi, qu'une
immense lavette qui semble sortir d'un baquet. La lenteur solennelle des juges
anglais fait que le saut en longueur s'est prolongé jusqu'à 2 heures de l'après
midi.
Rien n'ayant été prévu pour se restaurer
un peu ni par les Anglais ni par les Français, nous attaquons le poids sans
quitter le stade. La pluie qui tombe toujours a transformé le plateau en
bourbier. Le poids est glissant comme une anguille et je suis prêt à promettre
une tonne de bretzels à qui pourrait me procurer un chiffon sec. N'en ayant pas
trouvé, mon meilleur jet n'a été que de 12,85m ; je suis dans une rage épouvantable.
A l'issue de cette épreuve, je suis second au classement général. Des
tribunes, bien au sec, les officiels français commencent à me faire de petits
signes de la main. Je ne réponds pas, car je suis trempé, glacé et furieux...
Si seulement je n'avais pas mordu ce premier essai ! Si seulement ce satané
poids ne m'avait filé trois fois de suite dans les mains comme une savonnette !
Pendant le saut en hauteur, je peux me
vanter d'avoir fait passer la délégation française, présente à Wembley, par
toutes les couleurs de l'arc en ciel. En m'échauffant, je n'ai pas été
capable de franchir 1,65m ; et voilà que j'annonce aux juges que je commence le
concours à 1,70m. J'ai appris par la suite que M. MOURLON avait failli avaler
sa pipe. Quant à Roger DEBAYE, qui ne m'avait pas quitté d'une semelle depuis
le matin, il me regardait avec des yeux ronds, comme s'il faisait un mauvais rêve.
Je passe 1,70m au 1er essai; tout le monde pousse un soupir de soulagement et
retrouve le sourire. A 1,75m, je laisse passer mon tour.
Nouvelle
consternation dans le clan français ! A 1,80 je passe au 1er essai, puis 1,83m
et 1,86m, toujours au 1er essai. Après avoir frôlé trois fois 1,89rn, me voici en tête
au classement général. Les petits signes amicaux de tout à l'heure se
transforment en gesticulations spectaculaires ... Je suis heureux, je suis
content de moi…
Pourtant,
depuis le matin, je n'ai absorbé aucune nourriture, et j'ai reçu des tonnes
d'eau sur le dos. Ce n'est qu'à 22 heures, en pleine nuit et sans le moindre éclairage,
que nous sommes appelés pour la 5ème épreuve : le 400mètres.
Je suis encore avec MONDSCHEIN et, malgré notre fatigue, la lutte
impitoyable que nous nous livrons nous permet de terminer en 51"6 : ce qui
n'est pas si mal, dans de telles conditions. L'Argentin KISTENMACHER, qui a fait
un très bon 400, est en tête au classement général après la 1ère journée,
avec seulement 17 points d'avance sur moi. C'est le plus beau jour de ma vie,
mais j'ai froid, j'ai faim, et je suis fatigué et ... il n'y a plus de car; il
y a longtemps que le bus des Français est rentré à Uxbridge. Je dois donc
avoir recours à celui d'une équipe plus prévoyante, celle des Américains, et
dont les dirigeants sont probablement moins frileux que les nôtres...
Contrairement à ce que pensais, je n'ai pas sommeil du tout. D'ailleurs, je ne
parviens pas à fermer l'oeil de la nuit,
6
août 1948 Pour ne pas
changer, la pluie anglaise, qui est la plus têtue du monde, tombe avec autant
d'obstination que la veille. Cette fois, j'ai pris mes précautions. J'ai déjeuné
copieusement, ai pris de quoi manger pour la journée, et aussi de quoi me
changer. Ma chance continue, je cours à nouveau dans la 1ère
série du 110m
haies. Coup de pistolet ! Je rate complètement mon départ. J'arrive mal
sur la 1ère haie et rentre en percutant dans la latte transversale qui se casse
en deux. La 2ème haie vole littéralement en éclats. La 3 aussi, la 4 aussi,
et ainsi de suite jusqu'au bout, car je n'ai pas pu trouver le bon rythme. Eh
oui, j'ai renversé les dix haies aux Jeux Olympiques ... Surprise ! J'ai fait
15"6 malgré mon style de jeu de massacre. C'est mon record personnel.
...Bien entendu, je suis heureux ... Tout va bien, je suis toujours dans le
coup....
Au
lancement du disque, je crains bien que la chance ne tourne. Il
pleut à verse et je n'ai jamais pu, de ma vie, lancer sur un sol glissant, Au 1er
jet, je sème la panique parmi les juges en lançant exactement dans le sens
opposé à celui qu'ils étaient en droit d'attendre d'après ma position de départ.
Au 2ème essai, je m'étale de tout mon long dans le plus pur style
"descente de lit en peau de lion". Au dernier essai, je n'en mène pas
large. Faire un zéro, ce serait trop bête , par conséquent, je lance
pratiquement sans élan 40,94m, je craignais le pire. Mais MATHIAS, qui a réussi un jet de
derrière les fagots, a pris la tête du décathlon...
Au
saut à la perche, je tente de renouveler ma tactique du saut en
hauteur, c'est à dire espacer mes sauts assez nettement. Hélas, je n'avais pas
compté avec cette pluie infernale. Le bandage de ma perche est trempé, mes
mains sont glacées, de sorte que je la tiens mal. A 3,20m, je passe bien; mais à 3,40, rien ne va plus. Je suis certain
que par temps sec, je passais 3,60M...
Le
lancement du javelot débute dans l'obscurité la plus complète.
Une erreur de plus des organisateurs ! Impossible de s'échauffer par suite du
danger réel que cela présente. Néanmoins, l'épreuve se déroule sans
incident, sauf pour moi qui, complètement frigorifié, malgré mes efforts pour
me tenir échauffé, me blesse à nouveau au coude dès le 1er essai. Grâce au
ciel, le jet est valable: 40,98m, C'est
peu, mais s'il avait fallu lancer à nouveau, c'est 20 mètres que j'aurais fait
Le
1500m est donc pour moi la course de la dernière chance. Je ne peux
plus être premier, car MATHIAS a 328 points d'avance sur moi, mais je veux à
tout prix être second. SIMMONS ne me devance que de 67 points et je sais qu'il
souffrira plus que moins sur 1500... L'Argentin KISTENNIACHER n'a que 6 points
de retard sur moi. C'est donc un gars à
surveiller de près. Le hasard
veut que SIMMONS et moi soyons dans la même série. Nous en sommes aussi
heureux l'un que l'autre, car ainsi, nous "saurons" plus vite ... Nous
cherchons à la fois à aller suffisamment vite pour faire un temps convenable,
et à nous réserver pour les derniers 200 mètres. Dès que l'un semble faiblir
un peu, l'autre donne l'impression d'avoir recueilli mystérieusement les forces
perdues par son adversaire et démarre. Ca ne va pas très loin, bien sûr mais,
à ce petit j eu là, nous sommes arrivés à l'entrée de la ligne droite, à
100 mètres de l'arrivée, absolument épuisés. Pour ma part, je ne peux plus
lever les pieds , je les sors à peine de l'eau. Tout à coup, je vois Floyd
SIMMONS dodeliner de la tête, comme s'il se disait non à lui même, puis
baisser les bras et faire mine d'arrêter.
Ai-je
accéléré ? Je n'en sais rien. Quoi qu'il en soit, l'excellent, le délicieux
camarade qu'il est a perdu quinze secondes en moins de 100 mètres... C'est bien
après que je me rends compte que je suis second du décathlon olympique.
Mais cette course (temps réalisé : 4'43"8) disputée à 11 heures du soir, en pleine obscurité, restera certainement l'un des efforts les plus énormes que j'ai eu à accomplir dans toute ma carrière sportive...
Ignace HEINRICH par les textes
En cette fin d'année 1953, Ignace HEINRICH quitte
l'Alsace pour le Maroc. Voici quelques écrits le concernant:
Robert BOBIN, Directeur Technique National
« Un animal de combat superbe. Il aurai pu être l'un des meilleurs spécialistes
mondiaux sur 110 m haies s'il l'avait voulu, et s'il s'était préparé en conséquence.
Mais son goût pour la lutte à outrance le conduisait à se dépenser sans arrêt.
Malgré sa haute stature si impressionnante, HEINRICH disposait d'un moteur
Ferrari sous une carrosserie insuffisante. Mais quel cran, quelle rage de
toujours faire mieux ! ».
Article de presse signé R.M. :
HEINRICH le « brise fer » des pistes !
"Ignace HEINRICH 1 95m 93 kg 1,12m de tour de poitrine 1,94m d'envergure est vu d'un très mauvais oeil par le trésorier de la FFA. qui lui reproche de changer de chaussures à pointes comme de chemise.
De fait, pour chaque match international, Ignace « consomme » une
paire de chaussures. Et c'est un drame quand le match dure deux jours. Il a fait
venir des « pointes » des quatre coins du monde : d'Amérique, de Suède,
d'Australie et du Japon. Toutes ont subi le même sort : tordues ou arrachées
après une journée de stade. C'est que Ignace est lourd, puissant en diable, et
qu'il met dans chacun de ses mouvements un maximum de force. Et puis , il
participe à tant d'épreuves ...
"
Antoine BLONDIN: « HEINRICH
fait sa véritable entrée dans la vie. » (LEQUIPE 1954)
« J'apprends qu'Ignace Heinrich est perdu pour le sport, J'en suis
consterné, comme chaque fois qu'un athlète abandonne la compétition, que ce
soi t par contrainte ou par décret.
Le sport est sans doute la seule discipline humaine où la fleur de l'âge
se fane sur pied, où les testaments se font à trente ans. C'est un canton où
les monstres sacrés n'ont pas droit de cité.
Il n'y a que deux problèmes fondamentaux pour l'homme : celui de son
entrée dans la vie et celui de la sortie de cette vie. Si je dis que Heinrich
fut le plus grand athlète français entre Marcel Hansenne et Alain Mimoun, que
son duel avec Clausen aux Championnats d'Europe, sa parfaite et haute
silhouette, que ses déconvenues olympiques que nous avons partagées,
ensemencent les arpents privilégiés de notre mémoire, j'ai l'impression de
parler d'un disparu.
J'oublie que c'est peut‑être précisément aujourd'hui et
aujourd'hui seulement qu'Ignace Heinrich fait sa véritable entrée dans la vie
et avec toute sa vie devant lui , j'oublie que la mort du champion coïncide
peut‑être avec la naissance de l'homme. »
Roger DEBAYE, Entraîncur National UN MORCEAU D'ANTHOLOGIE
« ... Le souvenir du match HEINRICH‑CLAUSEIV aux Championnats
d'Europe de Bruxelles reste présent dans la mémoire de tous ceux qui en furent
les témoins, tant par son intensité dramatique que par la personnalité des
deux adversaires.
Le sort du match s'était joué non seulement dans la dernière épreuve,
mais dans la dernière ligne droite du 1500m, bête noire de tout décathlonien,
A cinquante mètres de l'arrivée, on vit l islandais, battu, tendre la main à
Ignace et terminer à ses côtés, rendant ainsi hommage à son vainqueur qui,
de toute évidence, était allé jusqu'à l'extrême limite de ses forces.
La poignée de main de Bruxelles est demeurée un morceau d'anthologie de l'athlétisme... ».